Des processeurs quantiques uniques au monde...
Les nanotubes de carbone ont été observés au microscope pour la première fois en 1991 et leurs propriétés exceptionnelles ont suscité aussitôt un enthousiasme débordant auprès des chercheurs et des industriels, pour être délaissés vingt ans plus tard au profit de matériaux plus faciles à manipuler et de moindres coûts, tels que la fibre de carbone. Qui aurait pu prédire, dans ces conditions, que ces nanotubes de carbone deviendraient un jour des superstars de l’électronique quantique ? Focus sur la start-up Française « C12 Quantum Electronics » avec Pierre Desjardins, co-fondateur et expert du Qubit de spin piégé dans des nanotubes.
Un processeur quantique fonctionnant avec des qubits de spin
La start-up C12 a pour objectif de créer des accélérateurs, c’est-à-dire des processeurs quantiques intégrables dans des calculateurs classiques existants, afin d’accroître de manière considérable les performances calculatoires de ces derniers. Ce processeur hybride utilise des nanotubes de carbone et du silicium, et fonctionne avec des qubits de spin d’électron.
Tout comme les bits classiques, les qubits reposent sur deux états de base qui sont l’état zéro |0> et l’état un |1>. Pour le qubit de spin, ces deux états sont obtenus à l’aide du spin d’un électron : l’état spin-up |↑> et l’état spin-down |↓> (le spin est une caractéristique d’une particule quantique, tout comme sa masse et sa charge électrique).
Des qubits de spin abrités dans des nanotubes de carbone
Le processeur est constitué par des nanotubes de carbone suspendus au-dessus du silicium, le tout refroidi à une température proche du zéro absolu (à 0 K = - 273,15°C).
Chaque nanotube renferme un unique électron piégé, dont le spin est manipulé pour devenir un état du qubit.
Ce piégeage quantique est effectué de la manière suivante : la section du nanotube est un disque de deux nanomètres de diamètre (soit deux milliardièmes de mètre et environ mille fois plus fin qu’un cheveu). Ces dimensions nanométriques provoquent l’incapacité de l’électron à se déplacer dans ce disque selon les lois de la physique quantique. Il lui reste donc un seul degré de liberté : le déplacement le long de l’axe du nanotube. Le confinement final est initié grâce aux électrodes de grille qui créent deux puits dits « puits de potentiel » le long du nanotube, entre lesquels l’électron oscille en permanence : le piégeage est donc complet.
A ce stade, le qubit n’existe pas encore : on dit qu’il est éteint. Un champ magnétique est ensuite appliqué afin d’aligner le spin de l’électron en position spin-up et spin-down : le qubit est alors crée et on dit qu’il est allumé. La possibilité d’allumer et d’éteindre à volonté le qubit de spin, et ce quelque soit son emplacement dans le processeur, est une propriété fondamentale de ce dispositif.Enfin, le qubit est encodé grâce à l’émission finement contrôlée de photons délivrés par le résonateur micro-onde inclus dans le dispositif. Il est à noter que ce couplage spin/photon micro-onde est particulièrement efficace grâce au mode de piégeage de l’électron (à savoir par création de deux puits de potentiel dans un fil quantique) et à la fréquence micro-onde utilisée.
Une architecture hybride unique au monde
Le processeur est construit de manière à obtenir un qubit préservé au maximum de toutes perturbations, afin de faire diminuer de manière drastique les erreurs, essentiellement les bit-flips(permutation accidentelle des états spin-up et spin-down) et les phase-flips (modification accidentelle de la phase d’un état quantique), au cours des calculs.
Tout d’abord, la température très basse du système permet de réduire les bruits d’origine thermique(plus la température est basse et moins les particules s’agitent jusqu’à devenir immobile au zéro absolu, à 0 Kelvin soit à -273,15 degré Celsius), en plus de provoquer le comportement quantique des particules.
Ensuite, le nanotube est suspendu afin de réduire les contacts physiques et donc les perturbations d’origine mécanique.
Enfin, le nanotube est ultra pur dans la mesure où il ne contient que du carbone 12, c’est-à-dire des atomes avec des noyaux de spin nul (d’où le nom de l’entreprise « C12» : C comme carbone et 12comme l’isotope 12). En effet, le spin de l’électron est très sensible aux spins nucléaires de son environnement proche. Les autres isotopes du carbone, c’est-à-dire des atomes possédant le même nombre de protons mais un nombre de neutrons différent dans leur noyau, ont soit un spin non nul(carbone 13) soit sont radioactifs (carbone 14) et donc constituent des sources inévitables de perturbation. Le silicium lui-même est constitué majoritairement par l’isotope 28 (à 99,99%) qui a un spin nul, contrairement aux autres isotopes.
Le passage du qubit physique au qubit logique
« L'interaction spin/photon permet de manipuler un qubit et permet également de réaliser les portes à 2 qubits. C'est le résultat clef qui a permis la création de C12: la réalisation d'un couplage spin/photon tout en préservant la cohérence du spin qubit. ».
« On estime qu’il faudra une dizaine de qubits physiques, donc une dizaine de nanotubes, pour faire un qubit logique . C’est une estimation car nous travaillons actuellement sur le qubit physique et n’avons pas encore choisi l’algorithme de correction d’erreurs ».
Une haute fidélité attendue
« La fidélité globale prend en compte l'ensemble des opérations de l'algorithme et pas seulement la réussite d'une opération élémentaire. En plus d'une très bonne fidélité sur les opérations élémentaires, il faut minimiser les crosstalks (mécanismes de perturbations des qubits entre eux et entre les qubits et les contrôles) et le nombre d'opérations pour arriver au résultat final. Dans le cas de l'architecture C12, la capacité d'éteindre et d'allumer le qubit (en modifiant le couplage entre le qubit et le bus) et le fait que les qubits peuvent être arbitrairement couplés entre eux (connectivité forte) donne un avantage à cette technologie pour l’obtention d’une haute fidélité globale. »
Une bonne scalabilité (passage à l’échelle industrielle)
Cette technologie permet de reproduire de manière fiable et à grande échelle le processeur.
En effet, il y a possibilité de réduire un facteur de variabilité : « Notre méthode de fabrication nous permet de pré-sélectionner les nanotubes de carbone par un système de scan, et ainsi de réduire les différences qui peuvent exister entre eux, et donc entre les qubits ».
La construction de la puce peut, de plus, s’effectuer en deux temps : « On peut avoir une fabrication de la partie électronique au silicium dans des fabs classiques et ensuite on vient intégrer les nanotubes de carbone ».
Enfin, le processeur fonctionne avec des algorithmes quantiques propriétaires développés en partenariat avec les entreprises ATOS (poids lourd mondial du service numérique) et Artelys, spécialisée en optimisation, aide à la décision et modélisation numérique.
Le mot de la fin
La technologie mise en œuvre par la start-up C12, orientée hardware et intégrant les nanotubes de carbone dans une architecture hybride exceptionnelle, est unique et n’a aucun concurrent à l’échelon mondial ! De plus, l’équipe (dont des chercheurs de l’ENS de Paris) comprend des experts mondiaux du qubit de spin et travaille en partenariat avec des poids lourds du software...
Cette start-up est donc en très bonne position dans la course à la « suprématie » technologique se déroulant dans un paysage quantique hautement concurrentiel !
Article tiré de Science et Vie, écrit par Jeanne Périé